La chasse aux loups est ouverte!

Alors que le monde écologique réclame la ré-introduction des loups dans les forêts et montagnes françaises, l’historien Jean-Marc Moriceau s’interroge. Il n’a que trop lu, dans les archives, de témoignages sur les ravages que ces animaux ont causé dans les siècles passés, pour ne pas se poser de questions.

"L’historien, dit-il, doit savoir participer aux grands débats de société. Il ne doit en tous les cas pas laisser d’autres parler du passé à sa place et doit, en l’occurrence, apporter des éléments de réflexion sur le sujet".





Les registres paroissiaux fourmillent de loups


Il a donc décidé de constituer un dossier - à charge ou à décharge, l’avenir l’apprendra - qui proposera une chronologie et une cartographie précises des méfaits commis par les loups vis-à-vis des populations humaines.

Pour ce faire, Jean-Marc Moriceau, actuellement professeur d’Histoire à l’Université de Caen, a envoyé des courriers sollicitant des témoignages, aussi bien aux Archives qu’aux historiens. Il en appelle aussi - et surtout - aux généalogistes du fait que les registres paroissiaux, qu’ils ont largement dépouillés et qu’ils fréquentent encore assidûment pour mener leurs recherches, fourmillent de relations faites à ce sujet par les curés d’autrefois, notamment au travers de nombreux actes d’inhumation d’enfants ou d’adultes victimes de loups.


Une horrible énumération...


Du Nord au Midi, d’Est en Ouest, ce sont toujours les mêmes horribles drames.
À Berd’huis (Orne), c’est l’acte de sépulture "d’un enfant de dix ans, noyé dans la rivière, lequel avait été tiré hors de l’eau par un loup qui lui a mangé mains et bras, jambes, cuisses et reins" (27/05/1739). À Saint-Riez-en-Belin (Sarthe), c’est celui de Cécile Le Boet "dévorée en la forêt de Douvres le jour précédent par une bête farouche". Au Mesnil (Meuse) : "Jean Bigot, âgé de huit ans, a esté dévoré du loup et l’on n’a retrouvé qu’une de ses mains et ses entrailles qui ont été inhumés sous un carreau de l’autel, le reste du corps ayant été emporté et mangé dans le bois" (20/02/1690).

Pire : le curé de Latillé (Vienne), inhumant les restes d’un enfant de huit ans, précise qu’il est le huitième à être dévoré par un loup en l’espace de trois semaines (24/04/1751).
Près de Rosporden (Finistère) : une louve emporte une petite fille de 8 ans, puis une autre de 10 ans. "On a découvert la retraite de cet animal dans les bois. On y a trouvé cinq petits louveteaux et des ossements d’enfants avec le crâne d’une personne qui paraissait être plus âgée" (23/09/1773).


Les grosses bêtes


À Bassignac-le-Bas, en Corrèze, c’est encore l’inhumation du corps d’Etienne Douliac, âgé d’environ onze ans, "mort des blessures horribles et effrayantes que lui avait fait le jour précédent une espèce de loup, que l’on nomme male bête (mauvaise bête)" (09/07/1746).

Car ces "males bêtes", en effet, sont bel et bien des loups, des loups responsables de morts à la chaîne. On retrouve ici, bien sûr, les dramatiques souvenirs des crimes de la fameuse "bête du Gévaudan" qui n’était autre que cinq loups réunis - dont le plus gros pesait 65 kg ! -, lesquels firent, en 1764-65, aux environs de Langogne (en Lozère), pas moins de 98 à 100 morts, et nombre de blessés. Un bilan qui reste toutefois inférieur à celui de la terrible "bête de Benais", en Touraine, qui tua de la même façon 150 personnes.

Chasseurs de loups et de primes


Les victimes toutes désignées sont évidemment les enfants, d’autant plus volontiers que nombre d’entre eux travaillent seuls dans les prés ou dans les bois. À Saint-Symphorien-d’Andilly, en Haute-Savoie, le loup dévore un enfant de huit ans, "Jean-Jacques qui paissait les bestiaux de son père" (14/10/1748). On saisit mieux, ici, combien le couple formé par le loup et la bergère n’est pas qu’un poncif de contes et de littérature bon marché.

Le loup, autrefois, était un danger bien réel contre lequel les populations devaient s’organiser.

En 1482, des loups ayant égorgé plusieurs enfants et jeunes filles aux environs de Metz, on vit les paysans s’armer de "palz et massues, piques, arbelestres, couleuvrines et espées, et aultres bastons comme si c’estoit pour aller en guerre". On n’hésitait pas, non plus, à promettre des primes à qui en tuerait, lorsqu’on n’autorisait pas, comme ce fut le cas au XVIe siècle à Vaudémont (54), à quêter de maison en maison en présentant la peau de l’animal, pour se faire récompenser de ce que l’on considérait alors comme un acte de salut public.





En mémoire du Petit Chaperon Rouge


Afin de mieux éloigner les autres, la dépouille du loup était souvent exhibée à quelque potence, en un lieu qui allait souvent en conserver le souvenir en se voyant nommé "Loupendu" ou "Panloup" (on rencontre ici l’origine du patronyme Dupanloup).

On l’a compris, le Petit Chaperon rouge n’est donc pas une simple légende et, si Bettelheim montre que la présence du loup dans les contes de fées permet à notre inconscient de travailler, on ne saurait pour autant oublier les multiples témoignages de ses ravages.

Alors, si vous souhaitez aider Jean-Marc Moriceau a les inventorier, vous pouvez le contacter directement par courrier ou par mail :
J.-M. Moriceau, Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen, Pôle Sociétés et Espaces ruraux, 14032, Caen cedex.



Ouf! J'ai enfin fini!


Source du texte : http://www.seniorplanet.fr/mag/la-chasse-aux-loups-est-ouverte.8590.html